Quand le garde Lavallée nous fait voyager dans le temps...
Dans la forêt de Lyons... Retour en juin 1944...
Il nous emmène dans son périple et nous contes ses secrets...
Au détour d'un sentier, des conteuses nous enseignent l'histoire de l'araignée et de sa toile, du grand hêtre remarquable, des deux arbres ti tête et ti corps, de la chatelaine de Rosay...
Ti-tête et Ti-corps
Il était une fois un jeune bûcheron qui marchait dans la forêt sa hache sur l’épaule.
Et voilà tout à coup, à trois pas devant lui, un serpent rouge et vert, énorme, qui traverse le sentier. Alors, il empoigne sa hache et tranche le serpent en deux. Puis il poursuit son chemin.
Et tandis qu’il s’éloigne sous les grand arbres, derrière lui, de la tête du serpent rouge et vert sort une jeune femme. Et du corps du serpent rouge et vert sort un jeune homme.
Cette jeune femme est appelée Ti-Tête. Et le jeune homme est appelé Ti-Corps.
Et Ti-Tête voyant le bucheron s’éloigner sur le sentier de la forêt court après lui, elle le rejoint, marche un instant à son côté, puis elle lui jette un coup d’oeil. Elle le trouve à son goût. Alors, elle lui fait l’œil de miel. Le bucheron la regarde, il la trouve à son goût. Alors, il lui prend la main et il l’épouse.
Et Ti-Tête a bientôt de son bucheron de mari, 4 garçons et 4 filles.
Et après 25 ans, 20 petits-garçons et 20 petites filles. On peut dire que sa vie a été parfois difficile mais bien comblée.
Ti-Corps, lui quand il a vu Ti-Tête courir après son bucheron, a pris le chemin inverse. Il a erré sur les chemins, mendiant son pain sur les places, mendiant l’amour au pas des portes. Il n’a fait fortune ni de l’un ni de l’autre.
Heureusement, heureusement le Créateur lui avait fait don d’un talent incomparable. Ti-corps chante et il chante si bien que quand il se met à chanter tout le monde s’assemble autour de lui pour l’écouter. Même les chiens cessaient de grogner après les renards à la lisière du village pour l’écouter.
Ti-corps chanta longtemps, 20 ans, 30 ans peut-être, jusqu’au jour où lui vint la nostalgie de Ti-tête.
Il se mit à la chercher partout dans le pays, demandant aux gens qu’il croisait « Connaissez-vous Ti-Tête ? L’avez-vous rencontrée ? » Les gens se moquaient de lui. Parfois, ils lui jetaient des pierres, parfois ils lui disaient d’aller voir à la ville voisine. Et Ti-corps allait à la ville voisine mais il ne trouvait pas Ti-tête.
Et il chercha ainsi, longtemps, longtemps jusqu’au bout de ses forces et parvenu au bout de ses forces il arriva à la lisière d’un village comme ça un jour, on dit qu’il s’agit du village de Rosay sur Lieure et il se dit que ce serait le dernier village de sa vie.
Alors il s’assit au pied d’un mur en ruine et il se mit à chanter pour lui seul « Ti-tête, Ti-tête, où est passée Ti-Tête? »
ET voilà que quand il chantait ainsi, un enfant s’approche de lui et le tire par la manche.
« Ti Tête ? mais c’est ma grand-mère. Si tu veux la voir, elle est dans mon village, je peux te conduire jusqu’à elle si tu veux. »
Et Ti-corps a suivi l’enfant mais il n’est pas allé dans la maison où était Ti-Tête. Non, il est allé droit sur la place. Et là sur la place, il s’est mis à chanter un chant très beau, un chant inconnu même des plus anciens. Tous l'écoutèrent, les femmes, les enfants. Tous sauf… Ti-Tête.
Ti-Tête est restée dans sa maison auprès de son dernier petit-fils. Et elle lui dit « Pleure, crie, fait du bruit je ne veux pas entendre » « Va me chercher du coton mouillé que je me l’enfonce dans les oreilles. » Ti tête s’agite.
Et sur la place Ti-corps lui continuait à chanter, il chanta ainsi jusqu’à ce qu’apparaisse la première lueur de l’aube à l’horizon de l’est. Et à l’instant où apparu la première lueur de l’aube à l’horizon de l’est, Ti-corps se tut, juste au milieu d’une phrase.
Et puis quelqu’un dans le village a repris le chant de Ti-corps juste au milieu de la phrase là où il l’avait laissée.
Et sur le seuil de la maison, le dernier petit-fils disait à sa grand-mère « mais grand-mère qu’est-ce que tu chantes là ? Ton chant est beau… »
Et Ti-Tête continue à chanter et sans cesser de chanter, elle s’avance jusque sur la place. Elle rejoint Ti-Corps et ils restent face à face sans plus rien dire. Puis Ti-corps a pris la main de Ti-tête et ils sont sortis du village. Et ils avaient l’air si étranges tous les deux que personne n'osa les suivre. Ils s’éloignèrent jusqu’aux hautes herbes de la forêt.
Et là, exactement où ont poussé les 2 hêtres jumeaux, ils se couchèrent sur le lit de feuillage à l'abri des regards et il n’y eu plus ni Ti-Tête ni Ti-Corps mais un seul serpent rouge et vert qui se perdit dans le secret des herbes.
Et il en fut ainsi. Et il est dit qu’il ne pouvait pas en être autrement. Car aussi éloignés que soient les êtres, aucun obstacle ne serait les séparer pour toujours, s'ils sont faits pour aller ensemble dans le secret des herbes.
Henri Gougaud, Contes d'Afrique, Seuil Jeunesse, coll. Romans illustrés Jeunesse, Paris, 2000 (pp. 61-64).
Le trésor du hêtre
Mon histoire commence juste à l’instant où un lièvre suant, soufflant s’arrête dans l’ombre d’un hêtre. Il s’assied sur son derrière, et contemplant la forêt à l’entour, il pousse un grand soupir d’aise.
« Hum Hêtre, dit-t-il, comme ton ombre est fraîche et bienfaisante »
Et voilà le feuillage du Hêtre qui se mit à frémir, tout content de ces bonnes pensées qui montent vers lui. Le lièvre s’aperçoit du contentement du hêtre. Alors le voilà pris d’humeur joueuse. Il convoite les fruits du hêtre qu’il voit pendre au bout de sa branche.
Alors le lièvre dit au hêtre, « Certes ton ombre est bonne. Assurément meilleure que tes fruits. Je ne veux pas médire, mais ceux qui me pendent au-dessus de la tête m’ont l’air bien rabougri. »
Alors le Hêtre se dit « oh... ce petit être là convoite mes fruits. Alors il ne faut pas le décevoir. »
Alors le hêtre fait frémir ses branches et des fruits tombent devant le museau du lièvre. Le lièvre flaire les fruits, goûte les fruits, les dévore, se pourlèche.
« Tes fruits sont bons, délicieux, sûrement meilleurs que ton cœur. Ton cœur tel que je l’imagine dans son armure d’écorce, ton cœur à l’air aussi revêche que le pire silex de la forêt »
« Ah, se dit le Hêtre, ce petit être là voudrait que je lui ouvre mon cœur. »
Oui mais le Hêtre n’a jamais ouvert son cœur à personne. Alors le voilà soudain tout intimidé, il n’ose pas.
Puis il se dit « si je n’ose pas ce petit être là va être déçu. Et je n’aimerai pas qu’il soit déçu. »
Alors il entrouvre son écorce, le lièvre ne bouge pas, il est toujours assis sur son derrière et jette un coup d’œil sur le côté.
Alors le Hêtre ouvre bien grand son cœur et se déversent aux pieds du lièvre tous les trésors que contenait le cœur du hêtre des perles, des tissus brodés d’or, des bijoux, des diadèmes en pierres précieuses…
Et le lièvre s’émerveille « Merci, merci Hêtre, comme ton cœur est généreux, plein de bienfaits, merci, merci pour tout ce que tu me donnes.»
Il charge sur son épaule tous les trésors du Hêtre et il s’en retourne chez lui.
Sa femme le voyant ainsi chargé se précipite vers lui et lui demande « Où as-tu trouvé toutes ces merveilles ? » Elle n’attend même pas la réponse, elle n’a qu’une hâte nouer autour de sa taille les tissus brodés d’or, mettre les bijoux précieux, et poser la couronne en diamant sur sa tête. Et ainsi parer, elle s’admire dans le reflet de la mare. Elle se trouve belle. Elle n’a qu’un désir se faire admirer des peuples de la forêt. Elle va sur le sentier de la forêt, elle regarde à droite et à gauche, elle se dandine... Et voilà qu’elle rencontre une fouine.
Et cette fouine lui demande où « as-tu trouvé toutes ces merveilles ? »
« Elle lui dit je ne sais pas, ça c’est mon mari qui les a ramené de je ne sais où. Si tu veux savoir, demande-lui. »
Et la fouine s’empresse d’aller demander au lièvre et celui-ci lui raconte tout. Il lui raconte le jeu qu’il a joué à l’ombre du hêtre, comme ton ombre est bonne sûrement meilleure que ton fruit, comme ton fruit est bon sûrement meilleur que ton cœur. « Si tu veux les mêmes biens va jouer le même jeu. »
Et la fouine se précipite à l’ombre du hêtre et elle joue le même jeu.
Et le Hêtre donne son ombre, donne ses fruits, ouvre son cœur.
Mais à peine l’écorce du Hêtre s’est-elle fendue que la fouine se précipite dans la brèche ouverte et la voilà qui grogne, qui griffe qui dit « j’en veux plus, tu en as donné plus ce que cela au lièvre, je veux tout, tout de toi, jusqu’à tes racines. »
Et voilà le Hêtre blessé par t’en avidité qui se referme aussi tôt. Et la fouine s’en retourne bredouille.
Depuis ce jour, elle cherche désespérément des trésors illusoires dans les bêtes mortes qu’elle rencontre.
Quant au Hêtre, il n’ouvre plus son cœur à personne. Il a peur. Il faut le comprendre : il a subi une blessure invisible, mais inguérissable.
En vérité, le cœur des hommes est semblable à celui de cet arbre : empli de richesses et de bienfaits. Pourquoi s’ouvre-t-il si petitement quand il s’ouvre ? De quelle fouine se souvient-il ?
(Issu du conte « Le trésor du Baobab » ,Conte africain, Henri Gougaud, L’arbre aux trésors, Ed. du Seuil)
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